Quinze heures à l’amarrage du Lalivinière notre pénichette Nicols pour quatre jours.
Les enfants excités et un peu craintifs attendent de découvrir leur future maison flottante.
Entre envie et appréhension, ils investissent rapidement l’espace. Six enfants, trois adultes.
La répartition des cabines se fait par affinité. Astucieuse optimisation de l’espace qui permet
un couchage confortable dans une bonbonnière. Chaque cabine ayant un hublot, aucune
crainte pour la claustrophobe de la bande. Les sacs vite défaits – nombreuses étagères- tous
se retrouvent sur le pont arrière pour assister au départ vers… l’aventure.
Il a été décidé de voguer au gré des envies, flânerie le nez en l’air, suivant les
désirs de chacun, se réapproprier le temps, savourer la lenteur. Cette mini croisière se
déroulera entièrement sur le canal. Une mise entre parenthèses de la civilisation et des
bruits de la ville. Jeux et bonne humeur, bicyclettes et cannes à pêche sont du voyage.
Les amarres larguées, notre « Capitaine papa » met le cap vers Castelnaudary. Cette
partie du Canal est la plus pittoresque, et échappe au zonage rouge de la région Toulousaine.
Covid n’a pas sa place dans notre escapade. Dès la sortie de Port Lauragais le charme opère.
Les vieux platanes aux rousseurs automnales semblent nous accueillir entre leurs reflets
aquatiques de branches entremêlées. La péniche trace son sillon sur le miroir d’eau aux
couleurs changeantes. Heure d’hiver oblige, nous n’irons pas bien loin et chercherons un
amarrage « sauvage » pour passer la nuit. Demain, nous nous réveillerons en pleine nature.
La soirée, ponctuée de rires nous permet de bien investir notre habitat et de nous habituer
aux bruits de notre pénichette. Car elle parle ! Elle dialogue avec l’eau qui se glisse
furtivement le long de sa coque en un doux soupir ; elle répond aux boules de platanes qui
rebondissent sur la coque en décuplant leur bruit.
Premier matin sur l’eau. Autour de la table du petit déjeuner chacun fait part de son
expérience nocturne : l’un a l’impression que la pénichette bouge langoureusement sans
cesse, l’autre est rassuré parce qu’elle est toujours bien amarrée à l’emplacement choisi !
Réflexions enfantines. Pour l’instant les vélos sont descendus et les mollets ronds s’activent
sur le chemin de halage dans la douceur et le silence matinaux.
Cette mise en jambes terminées, c’est de l’espace extérieur que nous prenons possession.
La table du pont arrière servira pour les apéritifs soda-grenadine, le pont avant fera office de
solarium et de poste d’observation. Vite aguerris aux déplacements, en prise directe avec la
nature, l’intérieur ne sera plus qu’un refuge nocturne.
La navigation peut reprendre. Notre « Capitaine papa » ayant une bonne maitrise de
la Lalivinière c’est avec sérénité que l’approche de la première écluse se fait. Explications
théoriques brèves, et découverte émerveillée pour nos six Juniors. Etrange sensation, celle
de ne pas se retrouver au niveau du plan d’eau sur lequel on est sensé naviguer. Portes
énormes en fer, protectrices, qui tout à coup laissent s’échapper, en un bruit violent de
cascade en colère, l’eau du bief. Nos ados ont décidé de jouer les mousses, ils s’occuperont
des cordages qui maintiendront la pénichette durant le remplissage ou la vidange du sas
ovoïde.
Nous voilà à nouveau sur le Canal après avoir pu apprécier la maison éclusière sur la
façade de laquelle se trouve une plaque donnant de précieuses informations : nom, distance
aval et amont. Elle semble veiller sur le trafic qui se déroule à ses pieds. Combien
d’anecdotes aurait-elle à raconter ? Les écluses seront les temps forts de ces quatre jours.
Ecluses à sas unique, double, triple et quadruple. Toujours étonnant et provoquant une
légère émotion. Pensée envers les concepteurs et bâtisseurs de tels ouvrages qui n’avaient
pas omis de disposer épanchoirs et déversoirs pour maîtriser les caprices de dame nature.
Poésie des ponts qui enjambent avec grâce et élégance le canal, trait d’union entre les deux
rives. Ils mêlent leurs ombres éphémères à celles des arbres floutées par le courant.
Surprise matinale d’un cygne qui hausse son cou gracile au dessus du bastingage
comme pour nous souhaiter le bonjour. Curiosité ou voracité ? Un peu des deux sûrement.
Presque irréel dans les écharpes de brume furtive, il nous offre sa beauté et sa blancheur
immaculée avant de s’éloigner, impérial. Plus tard dans la journée, de nombreuses familles
de colverts s’égayent au fil de l’eau, légères « Armada » peu farouches. Parfois, un envol
furtif en « rase canal » les conduit vers le rivage opposé , enveloppés d’un arc en ciel de
fines gouttelettes. Queue en panache, un écureuil saute de branche en branche dans un
platane qui lui sert d’aire de jeux.
Arrêt et nuit dans le port de Castelnaudary pour ravitailler notre pénichette. Un peu
intimidée elle se retrouve à l’amarrage entre deux grosses péniches noires, mais elle n’a pas
à en rougir, tant son design et sa blancheur la rendent élégante. Elle passera d ailleurs avec
fierté l’écluse à quatre bassins, impressionnante, que nous partagerons avec une autre
péniche. Etrange sensation que cette cohabitation temporaire.
En direction de Bram, arrêt déjeuner et parties de pêche. Trois petits poissons pris et
vite relâchés font la joie de nos moussaillons. Ils retrouvent les gestes lents du pêcheur,
le calme et la patience avant d’exulter.
Avant que ne tombe la nuit, nous faisons demi tour pour refaire, toujours au même
rythme, le chemin du retour. Une Dame éclusière nous apprendra le nouveau confinement.
Cette échappée sur l’eau, parenthèse hors du temps, bienvenue en cette année aux
rebondissements divers, a mis de la joie dans le cœur de tout l’équipage. Conscients de tout
ce que nous n’avons, par choix, pas découvert, nous ne disons pas « adieu » à notre
péniche, mais « à une autrefois… » peut-être.
Laurent S. – La Buisse - France
NICOLS 1310 – octobre 2020 – Port Lauragais